Cinq minutes pour jouer - Zoé L-Sirois

Être parent et éducatrice différemment. Bienveillance, école-maison, éducation alternative au quotidien.

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Mes filles de 5 et 7 ans jouent toute la journée et ne vont pas à l’école.

Quand je parle de jeux libres et d’environnement comme base de stimulation, ça ne s’arrête pas le jour où tu as 6 ans au 30 septembre. Pour moi, c’est un continuum qu’il est particulièrement agréable de continuer au-delà des 5 ans, en vivant les apprentissages en famille dans mon cas.

(…)

Je ne vois pas comment l’école pourrait cadrer dans leur quotidien, honnêtement. Elles sont bien trop occupées à jouer (et lire tous les livres de la bibliothèque municipale.) Je ne suis pas contre l’école, je vois pleins de profs inspirants avec des projets cool (et je m’en inspire.)

Je dis non merci à l’école pour pouvoir dire oui à pleins d’autres possibilités.

Oui au jeu libre des heures durant

Oui à un rythme qui nous convient

Oui aux moments ensemble

Oui à les voir découvrir tout ce qu’elles sont capables de faire, maintenant.

Oui à lire les livres qui leur plaisent pendant des heures

Oui à la plage un jour de septembre

Oui à respecter les périodes sensibles, les intérêts, la façon non linéaire d’apprendre

Oui à découvrir pleins de pédagogies, utiliser ma créativité pour créer du sur-mesure (un grand plaisir pour moi)

Oui à des apprentissages concrets, près de leur réalité

(…)

Alors voilà. Mes filles de presque 6 et presque 8 ne sont jamais allées à l’école, pour elles j’ai choisis les apprentissages en famille.

Favoriser le lien malgré nos interventions imparfaites

Parfois, le comité de famille tourne en rond, peu de solutions constructives sont nommés et je finis par imposer une solution qui est pas mal proche de la punition.

Parfois, je fais des interventions qui ne font aucun sens et je m’entends les faire en me disant :”Ben voyons, pas super efficace ce matin ton affaire!”

Je pourrais continuer longtemps les exemples.

Par contre, le plus important, une relation de fond solide avec mes enfants, est là.

Hier soir, tous les enfants sont autour de la table pour le temps d’auteurs (sauf le plus jeune en train de lire des livres avec papa dans sa chambre).

Je nomme: ces temps-ci, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de colères, d’inquiétudes alors voilà le temps d’auteur que je vous propose.

Écrivez tout ce qui vous fâche, ça peut être méchant même. Vous pouvez le partager ou non.

Et ensuite nous irons dehors brûler ce que vous avez écris. Personne ne le saura. Laissons partir en fumée tout ça.

Et mes 4 enfants, de 5 à 12 ans, l’ont fait.

Et ça, ça c’est le précieux qui compte.

Malgré mon imperfection de parents, je me retrouve à 20h avec tous mes enfants autour de moi, qui ont généralement le goût d’essayer ce que je leur propose. Qui ont assez confiance pour me montrer leurs grosses émotions négatives. Qui se sentent en sécurité de le faire.

Ça. Ça, c’est ce que favoriser le lien ça peut permettre.

Zoé

Naître proche aidant

Laurent, quelques jours après ta naissance, je t’ai placé dans des bras fragiles. Des mains pleines de vécues, mais de ce vécu des parcelles avaient déjà commencés à s’envoler. À ta naissance, ton grand-père était déjà en transformation. Je te l’avoue, je me suis interrogé, j’ai douté un temps, est-ce que t’encourager à créer un lien avec lui était le bon choix alors que ce serait éphémère ?

J’ai choisis de croire en l’amour et c’est ainsi que tu es né proche aidant.

Tu es né proche aidant et la vulnérabilité ne t’effraie point, tu sais d’instinct quand prendre la main et j’ai parfois besoin de te rapeller la possibilité de t’éloigner. C’est un ballet délicat, parfois encourager votre relation et parfois devoir te protéger.

D’ailleurs, j’ai souvent pensé que ça y est, votre relation unique allait s’effriter lorsque les symptômes envahissants de la démence me forçait à réduire vos contacts. Chaque fois, tu retournais vers lui, heureux, sans jugement.

Tu es né proche aidant, tes sourires, tes rires sont un baume, une main tendu qui traverse les brouillards de la démence lors des bons jours.

Tu as vu les deux facettes de la maladie: le beau: un papi qui joue avec une candeur d’enfant. Et la détresse immense d’un homme en train de se voir partir.

(….)

Un soir de semaine en été, nous sommes en sortie au parc. Les enfants viennent de trouver un jeu vraiment amusant, ils courrent, ils rient.

Et soudainement il faut retourner à l’auto, maintenant. Time out, papi est près du point de non-retour. Time out, je ne veux pas que vous soyiez témoins.

  • Vous vous souvenez quand on a discuté qu’avec papi quand je dis qu’il faut partir, il faut partir tout de suite? Je suis désolé mais il faut partir.

(….)

Nous étions venus une semaine auparavant au même endroit, et mon père avait super bien réagit pendant plus d’une heure, presque deux.

Mais aujourd’hui, l’anxiété grimpe. Au début il était enthousiasme. Il s’est dirigé vers les balançoires, s’est balancé. Puis il a décidé qu’il devait aller “là-bas”.

Il n’a aucune idée d’où il veut aller, mais il ressent profondément qu’il doit retourner quelque part. Son cerveau pallie l’information manquante en lui donnant un morceau d’information: une direction.

Il communique sans communiquer. Il utilise les mots mais sa compréhension est très très atteinte. Échelon rouge selon le système emprunté aux lumières, utilisé sur sa fiche d’identité au centre.

Les mots qui sortent de notre bouche semblent flotter jusqu’à lui. S’il est attentif, il en saisira quelques uns et nous retournera une réponse ayant un certain lien.

J’essaie les trucs habituels pour susciter sa collaboration: les questions pour comprendre (il ne sait pas où il veut aller), l’inviter à retourner vers les enfants(non non, on a assez perdu de temps), s’asseoir sur un banc (là-bas!!) , les directives (mais pourquoi on est venu ici? On est trop loin), lui changer les idées (Non, vraiment, on m’attends là-bas.)

Et là, l’anxiété monte chez lui et ça ressort en colère dirigé vers la personne la plus proche.

Honnêtement, quand tu atteinds ce stade là, c’est délicat parce que si tu insiste, la colère gonfle.

Alors ça peut être extrêmement long et lent de réussir à le faire collaborer. Il faut comprendre que ce n’est pas linéaire. Ce ne sont pas des bons et mauvais jours mais des bonnes et mauvaises minutes. Impossible de prévoir sa météo intérieure.

(…)

Crise de colère numéro 1.
Il continue de s’éloigner du parc (il va dans le champ, vers la forêt.)

Crise de colère numéro 2.
Il marche un peu plus loin. Ses jambes faiblissent (il utilise parfois une marchette, parfois pas mais il marche difficilement.)

Crise de colère numéro 3.

(….)

Mon conjoint, toujours au parc avec les enfants me regarde m’éloigner. Je lui fais un signe.

Il rapatrie les enfants, nous rejoint et agite les clés devant mon père pour qu’il les voit en disant:”Viens Pierre, l’auto est là-bas.”

Voir les clés fonctionne et créer un déclic. Nous nous engageons dans un chemin vers l’auto. De temps à autres, il essais de repartir. Les clés. L’auto.

  • Oui papa je sais où est l’auto.

Il est encore anxieux, il est désagréable avec les enfants, bête d’une façon qui ne fait aucun sens avec la réalité. Ce ne sont pas des reproches adressés aux enfants devant lui. C’est sa cassette de répliques pour chicaner des enfants qui part, parce que son cerveau cherche les mots qui conviennent avec ce niveau d’anxiété et de colère.

Éloigne les enfants avec mon mari pendant que je continue de le ramener avec les clés en main. Un pas. Un autre. J’utilise mes pas de proches aidants. C’est une façon de marcher bien particulière, je le sent même en pleine action. Je retiens mes pas pour qu’ils s’accordent à sa vitesse. Je module mes mouvements pour que mon bras serve d’appuie aux bons moments et je surveille le sol pour annoncer ses montés et ses descentes.

(….)

C’est la vie, presque 6 ans après les premiers symptômes d’alzheimer.

Notre choix de faire les apprentissages en famille sans cahiers

Nous sommes en direction de la prochaine année “scolaire” en terme d’obligations légales. La frontière du passage à niveau n’existe pas vraiment en apprentissages en famille, du moins pas au début du primaire. Pour nous, ça se continue 365 jours par année.

Néanmoins, il s’agit du moment des choix pour les parents et les enfants, prennant d’assaut les librairies pour trouver le cahier parfait. Ou pas.

Les cahiers sont une invention assez pratique. Mettre sur une centaine de pages une variété de concepts, simplifier le besoin d’expérimenter pour plutôt lire et vivre sur papier l’utilité des dits concepts. Lire et travailler au crayon sur papier sur comment utiliser l’argent… sans avoir besoin d’en tenir en ces mains. Ça peut être facilitant. Par contre, c’est aussi, se limiter à bien souvent une vision, une façon de faire. Et il y a pourtant tellement plus qui existe!

Ce n’est pas nécessairement mauvais, les cahiers, c’est simplement qu’en cette saison, ça ne réponds pas à notre vie.

Et que parfois ils me rendent mal à l’aise.

Une parenthèse, un détour vers un autre sujet.

Vous allez peut-être argumenter que je ne suis pas professeur et c’est vraie. En petite enfance, il y a une chose qui fait peu de sens parfois et j’en parle souvent: c’est prêter une intention à l’enfant qu’il n’a pas. Pour que ça paraisse bien, on se convainc que l’activité a plus de profondeur qu’elle n’en as vraiment. “Oui oui, le bébé de 14 mois a beaucoup appris sur le japon pendant la semaine thématique.” Est-ce qu’il a vécu des expériences variés et est-ce que c’était enrichissant ? Oui. Mais non, le japon n’est pas à un niveau qu’il comprends pour le moment…

Et j’ai toujours pensé naïvement que c’était quelque chose réservé aux 0-5 ans. Ce n’est pas le cas, et j’ai l’impression que parfois on va utiliser des raccourcis sans compréhension de la part de l’enfant pour se convaincre qu’il apprends sans qu’il n’aille à apprendre. Pour des raisons malheureusement très semblables aux raisons expliquant ce choix au niveau du préscolaire. Fin de la parenthèse.

Donc, si on ne se base pas sur des cahiers, on se base sur quoi?

Sur la vie. Sur bien d’autres idées et façons de faire. Sur les projets, les idées venant de d’autres pédagogies ou pays.

Nous allons continuer les ateliers d’écriture (temps d’auteur) pour explorer les possibilités au niveau de l’écriture. Un temps d’auteur où chacun peut travailler sur ces projets. Un moment pour favoriser les mécanismes d’écriture dans l’ensemble, sans se limiter au cadre des savoirs prescrits.

Parfois, ça semblera plus formel, je sortirai le tableau blanc et je jouerai au professeur, quand je sentirai que c’est ce qui fonctionnera à ce moment-là. Mes enfants adorent quand je mets mon chapeau de professeur de Poudlard avec mon air sérieux et mon accent.

Nous allons continuer à lire sur plusieurs axes. D’abord les livres que les enfants lisent seuls. Choisis par eux ou suggérés par maman. Les livres lus à haute voix par le parent, porteurs de discussions. La lecture comme outil pour réaliser des recettes, comprendre un jeu, trouver des informations..

Nous allons continuer d’intégrer des activités et jeux, des projets autour des savoirs mathématiques. Je continuerai de fournir, créer du matériel de manipulation intéressant, de faire vivre les mathématiques dans la maison.

et plus encore… parce que pour nous l’école-maison c’est aussi ce privilège de pouvoir nous adapter à chaque jour, pour aller vers nos besoins actuels. C’est un grand privilège dont on oublie parfois de profiter ;).

Il m’arrive régulièrement de me surprendre à me dire: “eh bien! On dirait une activité de cahier hors cahiers!” La première qui me vient en tête : jouer au bingo. Identifier le nombre nommé oralement pour le retrouver sur sa carte… c’est quelque chose qui se retrouve sous forme bien plus plate dans des cahiers… alors que les enfants le font avec bonheur et entrain dans le cadre d’un bingo.

Il m’arrive assez souvent d’écrire pour mes enfants et alors je sort le dictionnaire, le guide de conjugaison pour ne pas faire d’erreurs… et si vous voyiez l’intérêt avec lequel observe notre façon d’écrire, un enfant dont on note les paroles… Ces petits moments, ce sont de véritables occasions d’or pour leurs apprentissages. Plutôt que d’imposer qu’ils écrivent eux-mêmes, je saisis l’occasion d’écrire devant eux et ils en retirent d’autant plus de positif.

Finalement, de temps à autres, j’utiliserai du matériel plus près des standards québécois. Parce que la réalité étant qu’un jour ils feront des examens, je veux qu’ils ne vivent pas en plus le dépaysement total des façons de faire attendus. Honnêtement ? Ce n’est généralement pas un problème pour eux, parce qu’ils n’ont jamais vécus de côté négatif avec le scolaire. Si je leur demande de remplir une feuille ou d’essuyer des assiettes parce que j’en ai besoins, ils vont le faire. S’ils ne veulent vraiment pas, il y aura une raison et je l’écouterai et on passera à d’autres choses.

Au plaisir de lire votre opinion sur le sujet.

Zoé

Du gin pour l’homme sans famille

Du gin pour l’homme sans famille

Un soir de printemps ordinaire à la résidence.
Nous avons joué à jouer aux cartes et maintenant il a été distrait par des voix émanant du corridor : les préposés qui discutaient avec un de ses colocataires d’unité.

Il se promène alors que je tente de le ramener vers son “appartement”. Nous sommes au salon et je sais que si nous restons ici, il m’ignorera le reste de la soirée. Parfois, j’accepte ce sort et parfois j’insiste pour ne pas tomber dans cette roue.

Il exprime alors un besoin: j’ai soif. Un autre usager lui réponds du tac au tac:” Du gin! Veux-tu un 40 onces de gin?”

Mon père ris :” Oui! Du gin!”
L’ami : “Tu risque de marcher croche après 40 onces par exemple.”

Je blague: “c’est parfait, il est déjà tout équipé ! ” en pointant la marchette.

Ils rient.
Quelques autres échanges verbaux au sujet du gin et des rires auxquels j’essaie de participer. Je viens souvent et je connais la plupart des résidents que j’ai observé lors des soirées au salon.

Un homme commente: je pense qu’il y a des employés qui travaillent ici, peut-être qu’ils pourront te donner du gin!

Je saute sur l’occasion pour motiver mon père:”Allons voir, je crois qu’elles sont là-bas.”

Mon père s’approche d’une préposée.
-Bonjour!

  • Bonjour! Comment est-ce que je peux vous aider Monsieur X?
  • Ma gorge est sèche et je prendrais bien un verre d’eau.
  • Je vais vous chercher ça !

Je tente de le ramener attendre son verre vers sa chambre. Échec. Nous sommes encore dans le corridor. Elle apporte son verre et me le donne (il a les mains sur la marchette.)

-Tiens papa, ton verre.

Il ignore totalement toutes mes tentatives de lui partager que j’ai le verre dans mes mains.

Il retourne vers la préposée.

  • Ma gorge est sèche et je prendrais bien un verre d’eau.
  • Je l’ai donnée à votre fille.
  • ma fille? Je n’ai pas de famille moi, je suis tout seul ici et personne ne viens me voir.

(….)
Un petit intermède ici. À cause du covid, ils tiennent un registre des visiteurs pour chaque usager. Il y a donc un grand cartable avec une feuille par chambre sur laquelle les gens peuvent s’enregistrer. Mon père a tellement de visites qu’ils se sont tannées de rajouter constamment une nouvelle feuille (qui dois avoir 15 cases peut-être) qu’ils en ont mis 4 d’un coup. Il est privilégié niveau visites mais il ne le sait pas, il oublie toutes les visites systématiquement.

(….)

Appuyée par les propos de la préposée, je lui montre de nouveau le verre. Il le regarde finalement puis s’exclame: ” De l’eau ?!?! Je voulais du jus.”

La préposée reprends le verre, part dans la cuisine, transforme l’eau en jus et revient. Il boit 2 gorgées puis s’exclame de sa reconnaissance infinie devant ce liquide merveilleux. Il cherche comment tenir un verre et sa marchette en même temps.

“Donne-moi le papa”

“Ok mais échappe le pas.”

(….)

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