Je franchis les portes qui se verrouillent automatiquement dès qu’elles se referment. Ici, l’entrée se fait librement mais la sortie est contrôlée électroniquement par un code ou par le personnel: »Excusez-moi, madame l’infirmière, monsieur l’infirmier ou le préposé ou la préposée, je dois partir, pouvez-vous m’ouvrir la porte? »
Alors il ou elle vérifie qu’il n’y a aucun usager à risque de fugue près de toi, elle prends Monsieur Untel par le bras et « venez, marchons par là-bas » et le temps de convaincre tous et chacun de ne pas partir par la porte que tu ouvriras, voilà tu retourne chez toi.
Ça c’est une bonne soirée parce que dans le moins glamour, le « venez prendre une marche, voir là-bas, prendre une collation ou boire de l’eau » ne fonctionne pas et la porte est resté ouvert une minute de trop et le préposé se fait frapper.
Parfois l’infirmière hausse la voix, pas comme crier, juste comme un message clair : »On ne frappe pas, on ne me touche pas ici, on reste ici, je ne peut pas vous laissez partir, non. »
Et au pire on invoque le médecin. Ça, ça calme tout le monde parce que qui contesterait l’autorité du monsieur à la blouse? « Bien dites donc, vous ne partirez pas avant d’avoir vu le médecin toujours? Allons l’attendre. Il vous reste des examens à passer. »(….)
Monsieur. Madame.
Gardien de l’humanité c’est la partie du travail qui est caché sous des airs de politesse, c’est ce qui se passe au delà de nourrir-laver-médicamenter.Il faut être une personne bien spécial pour dire madame et respecter sincèrement une personne dont on lave les parties génitales. Une personne qui flotte entre les espaces temps, qui parfois nous offre un bout d’humanité au milieu du flou.
Parce qu’ici, les espaces-temps s’entrechoquent. Chacun nage dans une piscine de souvenirs, de sensations ou d’émotions et ce mélange instable, souvent éphémère conditionnent leurs réactions, sans que l’humain vivant dans cette réalité n’aille de moyen de nous les expliquer. Du moins, pas de la façon traditionnelle. Il faut observer, deviner et savoir déchiffrer. Se connecter à l’humain, croire profondément que l’humain est encore là même quand il nous accuse d’avoir voler les meubles de sa maison, parce qu’il ne les trouve pas dans sa chambre d’hôpital.
(…)
Et parfois. Il y a cette once de personnalité qui s’échappe et le gardien de l’humanité, quand il a le temps vous me direz, la saisit au vol de façon remarquable. Il imite la gestuel, il sourit, il nomme. Ça dure quelques secondes. Un chemin, un tunnel, une connexion, un regard, un toucher. Puis la personne retourne dans la fixation du vide ou de la télé ou dans sa recherche du voleur ou de son mari ou de la femme qui a volé son mari, lance sa nourriture par terre ou tente de se sauver. (…)
On voit peu les gens alzheimer à ce stade. Ils ont un niveau de soins élevés, ils sont restreints dans leurs déplacements, les outils de communications traditionnelles fonctionnent moins pour eux. C’est pourquoi je pense qu’il est important d’en parler, de leur donner une voix. De continuer de voir toute leur humanité. Zoé