« Aimerais-tu que je masse ta main papa?

Ça te détends habituellement. »

Sa main est douce, on parle souvent de la peau des petits, mais sa main avec 67 années d’expériences et de vie est suprennament douce. Il me tends sa main, se laisse masser quelques minutes.Nous sommes à l’hôpital, sur une civière de l’urgence et il est anxieux. Il ne comprends ni où nous sommes, ni pourquoi, ni où sont les autres donc il se souvient de façon flou. 15 minutes après le départ de sa femme, il a l’impression qu’elle n’est jamais venue.

Pour l’instant, son réflexe est de faire ce qu’il a toujours fait: trouver des solutions. Il est bien inquiet pour moi d’ailleurs : il a entendu le mot « opération » dans l’interphone hospitalier et son cerveau malade a fait un lien inusité : « Et s’ils pensaient que tu es une patiente et t’opérait par erreur? » Protecteur, il avise chaque infirmière que je suis sa fille et me conseille régulièrement de chuchoter et rester tranquille, de passer inaperçu.

« C’est ma fille! »

Et puis au moins 30 fois, c’est la négociation. Il tente de quitter. Je le ramène avec 100 prétextes, parfois les infirmières m’aident à le faire retourner vers sa chaise. Parfois c’est moins doux, il se fâche : »Laisse moi aller juste 10 minutes. » « Arrête de me suivre! » Il tente d’aller vers les autres patients, que je vois parfois sourire quand il se relève encore une fois.

« C’est votre papa hein? »

Il tente de me convaincre de le laisser aller alors je le suit à distance interpeller un préposé.

« Je veux juste poser une question. Est-ce que mon bracelet est encore bon pour aujourd’hui ? Pouvez-vous vérifier? »

(…)

Parfois il discute volontiers, et parfois il retombe dans la résolution de problèmes. Comment rejoindre les autres? Ont-ils des problèmes ? Elle est où donc sa maison? On peut y aller à pied?

D’ailleurs, où est le propriétaire de cette maison-ci, c’est bien rudimentaire comme logement? Il tente de se plaindre au propriétaire mais celui-ci s’éloigne et se sauve!

« Regarde-le, il nous as vu et a virer de bord ! » Il apostrophe alors une infirmière pour se plaindre des conditions de vie ici. Elle lui réponds en souriant: »Oh mais regardez monsieur, vous avez un lit ET un beau fauteuil!! Ce n’est pas tout le monde qui en as un ici. Vous êtes donc bien chanceux ! »

Il accepte son idée. Oui, il est chanceux. Il retourne à sa chaise. Il repart. Une infirmière vient alors à mon secours en lui proposant un travail. »Oui! Je suis travaillant moi madame. »Il plie des débarbouillettes avec attention, va les porter à l’infirmière en s’informant de sa paie 😉.

Elle lui rapporte les débarbouillettes dépliés. Il recommence.

« Elle est où ma femme? »

« À la maison. »

« Où ça ? »

« À Trois-Rivières. »

« Ben voyons donc!!! Qu’est-ce qu’il lui prends elle d’aller aussi loin?? Trois-Rivières ! C’est bien trop loin. Attends un peu, m’as arrangé ca… Faut que je trouve une solution, encore ! »

Il faut comprendre que lui, il flotte se laissant emporter d’une idée à l’autre, tantôt nous sommes dans cette ville et tantôt là-bas. Parfois il trouve que je suis gentille et parfois pas.

(…)

Enfin, il obtiens sa chambre dans l’unité prothétique adapté aux personnes errantes à risque de fugues. Je peux le laisser se promener librement. Et puis ce moment.Il s’asseoit près d’un autre patient dans le salon improvisé dans le corridor.

Il se tourne vers lui: »Comment ça va vous monsieur? »

L’autre patient babille quelques mots que je ne comprends pas.Il prends la main de mon père entre ses mains en le regardant avec chaleur et humanité. Mon père s’exclame : »Vous avez les mains chaudes. » (….)

Au départ, il cherche une solution. « Où-va tu dormir? Il n’y a qu’un lit. »

Puis il finis par accepter mon départ, à force de discussions.

Quand je viens pour partir, il dit à l’infirmière:  » Ma femme doit partir et moi je vais essayer cette chambre juste pour ce soir. »Il explique à l’infirmière: » Moi, j’ai l’alzheimer. »

(….)

C’est mon papa

Zoé