Cette fois-ci j’ai dans ma poche un jeu de cartes lorsque je vais le voir.

C’est un passe-temps qu’il a longtemps eu donc je sent que ça risque de l’intéresser, de lui parler, de le faire tomber dans les réflexes qu’il a gardé au delà de la mémoire.

Je lui propose le jeu et d’abord il refuse parce qu’une autre idée attire son attention, il demande à marcher. Nous partons marcher et je dépose les cartes sur la petite table. Au bout d’un moment, nous revenons dans sa chambre et voyant les cartes il demande à jouer.

J’avais prévu peut-être un jeu de bataille, mais l’enchaînement des actions (devoir déposer la carte, déterminer laquelle a le plus de valeurs, déterminer si c’est la tienne ou celle de l’autre puis les ramasser ou pas dépendant du résultat.. ) était trop complexe ce soir-là.

Alors j’ai décidé de jouer à jouer aux cartes tout simplement. Vous savez, chacun dépose une carte de façon pas toujours ordonné, puis s’exclame avec des expressions propres à l’action de jouer aux cartes. Aucune attention à la valeur des cartes n’est nécessaire, sauf si ça adonne à un joueur.

Pour un point bonis, accorder votre réaction à celle de l’autre afin de rendre la conversation cohérente.

– oh, celle là est bonne!

– tiens toi, moi j’ai un homme de coeur!

– pfffft attends de voir la mienne.

Dès que nous avons épuisé le paquet de carte, il redemande à jouer. Trois ou quatres parties plus tard, il rayonnait, satisfait. Lorsqu’il parla à sa femme en vidéo, il commence la conservation par lui dire, fier, qu’il avait gagné. À quel jeu donc?

Ça n’avait aucune importance.

(….)

Quand il joue à jouer, ses gestes correspondent à ceux d’une personne qui joue aux cartes. Ses paroles aussi. Il retombe dans des enchaînements confortables, des suites de mots qui viennent facilement en groupe. Le même effet se produit quand on le met dans un contexte familier. Il ne sais pas qu’il sais, il ne pourrais pas l’expliquer mais son corps sait instinctivement. C’est un des aspects les plus intriguants des personnes alzheimer à ce stade. Et c’est un aspect qui demande un grand lâcher prise de la part de la personne qui vit encore dans un monde de règles et de structure.