Être parent et éducatrice différemment. Bienveillance, école-maison, éducation alternative au quotidien.

Catégorie : Alzheimer ( Page 1 de 3)

Naître proche aidant

Laurent, quelques jours après ta naissance, je t’ai placé dans des bras fragiles. Des mains pleines de vécues, mais de ce vécu des parcelles avaient déjà commencés à s’envoler. À ta naissance, ton grand-père était déjà en transformation. Je te l’avoue, je me suis interrogé, j’ai douté un temps, est-ce que t’encourager à créer un lien avec lui était le bon choix alors que ce serait éphémère ?

J’ai choisis de croire en l’amour et c’est ainsi que tu es né proche aidant.

Tu es né proche aidant et la vulnérabilité ne t’effraie point, tu sais d’instinct quand prendre la main et j’ai parfois besoin de te rapeller la possibilité de t’éloigner. C’est un ballet délicat, parfois encourager votre relation et parfois devoir te protéger.

D’ailleurs, j’ai souvent pensé que ça y est, votre relation unique allait s’effriter lorsque les symptômes envahissants de la démence me forçait à réduire vos contacts. Chaque fois, tu retournais vers lui, heureux, sans jugement.

Tu es né proche aidant, tes sourires, tes rires sont un baume, une main tendu qui traverse les brouillards de la démence lors des bons jours.

Tu as vu les deux facettes de la maladie: le beau: un papi qui joue avec une candeur d’enfant. Et la détresse immense d’un homme en train de se voir partir.

(….)

Un soir de semaine en été, nous sommes en sortie au parc. Les enfants viennent de trouver un jeu vraiment amusant, ils courrent, ils rient.

Et soudainement il faut retourner à l’auto, maintenant. Time out, papi est près du point de non-retour. Time out, je ne veux pas que vous soyiez témoins.

  • Vous vous souvenez quand on a discuté qu’avec papi quand je dis qu’il faut partir, il faut partir tout de suite? Je suis désolé mais il faut partir.

(….)

Nous étions venus une semaine auparavant au même endroit, et mon père avait super bien réagit pendant plus d’une heure, presque deux.

Mais aujourd’hui, l’anxiété grimpe. Au début il était enthousiasme. Il s’est dirigé vers les balançoires, s’est balancé. Puis il a décidé qu’il devait aller « là-bas ».

Il n’a aucune idée d’où il veut aller, mais il ressent profondément qu’il doit retourner quelque part. Son cerveau pallie l’information manquante en lui donnant un morceau d’information: une direction.

Il communique sans communiquer. Il utilise les mots mais sa compréhension est très très atteinte. Échelon rouge selon le système emprunté aux lumières, utilisé sur sa fiche d’identité au centre.

Les mots qui sortent de notre bouche semblent flotter jusqu’à lui. S’il est attentif, il en saisira quelques uns et nous retournera une réponse ayant un certain lien.

J’essaie les trucs habituels pour susciter sa collaboration: les questions pour comprendre (il ne sait pas où il veut aller), l’inviter à retourner vers les enfants(non non, on a assez perdu de temps), s’asseoir sur un banc (là-bas!!) , les directives (mais pourquoi on est venu ici? On est trop loin), lui changer les idées (Non, vraiment, on m’attends là-bas.)

Et là, l’anxiété monte chez lui et ça ressort en colère dirigé vers la personne la plus proche.

Honnêtement, quand tu atteinds ce stade là, c’est délicat parce que si tu insiste, la colère gonfle.

Alors ça peut être extrêmement long et lent de réussir à le faire collaborer. Il faut comprendre que ce n’est pas linéaire. Ce ne sont pas des bons et mauvais jours mais des bonnes et mauvaises minutes. Impossible de prévoir sa météo intérieure.

(…)

Crise de colère numéro 1.
Il continue de s’éloigner du parc (il va dans le champ, vers la forêt.)

Crise de colère numéro 2.
Il marche un peu plus loin. Ses jambes faiblissent (il utilise parfois une marchette, parfois pas mais il marche difficilement.)

Crise de colère numéro 3.

(….)

Mon conjoint, toujours au parc avec les enfants me regarde m’éloigner. Je lui fais un signe.

Il rapatrie les enfants, nous rejoint et agite les clés devant mon père pour qu’il les voit en disant: »Viens Pierre, l’auto est là-bas. »

Voir les clés fonctionne et créer un déclic. Nous nous engageons dans un chemin vers l’auto. De temps à autres, il essais de repartir. Les clés. L’auto.

  • Oui papa je sais où est l’auto.

Il est encore anxieux, il est désagréable avec les enfants, bête d’une façon qui ne fait aucun sens avec la réalité. Ce ne sont pas des reproches adressés aux enfants devant lui. C’est sa cassette de répliques pour chicaner des enfants qui part, parce que son cerveau cherche les mots qui conviennent avec ce niveau d’anxiété et de colère.

Éloigne les enfants avec mon mari pendant que je continue de le ramener avec les clés en main. Un pas. Un autre. J’utilise mes pas de proches aidants. C’est une façon de marcher bien particulière, je le sent même en pleine action. Je retiens mes pas pour qu’ils s’accordent à sa vitesse. Je module mes mouvements pour que mon bras serve d’appuie aux bons moments et je surveille le sol pour annoncer ses montés et ses descentes.

(….)

C’est la vie, presque 6 ans après les premiers symptômes d’alzheimer.

Du gin pour l’homme sans famille

Du gin pour l’homme sans famille

Un soir de printemps ordinaire à la résidence.
Nous avons joué à jouer aux cartes et maintenant il a été distrait par des voix émanant du corridor : les préposés qui discutaient avec un de ses colocataires d’unité.

Il se promène alors que je tente de le ramener vers son « appartement ». Nous sommes au salon et je sais que si nous restons ici, il m’ignorera le reste de la soirée. Parfois, j’accepte ce sort et parfois j’insiste pour ne pas tomber dans cette roue.

Il exprime alors un besoin: j’ai soif. Un autre usager lui réponds du tac au tac: » Du gin! Veux-tu un 40 onces de gin? »

Mon père ris : » Oui! Du gin! »
L’ami : « Tu risque de marcher croche après 40 onces par exemple. »

Je blague: « c’est parfait, il est déjà tout équipé !  » en pointant la marchette.

Ils rient.
Quelques autres échanges verbaux au sujet du gin et des rires auxquels j’essaie de participer. Je viens souvent et je connais la plupart des résidents que j’ai observé lors des soirées au salon.

Un homme commente: je pense qu’il y a des employés qui travaillent ici, peut-être qu’ils pourront te donner du gin!

Je saute sur l’occasion pour motiver mon père: »Allons voir, je crois qu’elles sont là-bas. »

Mon père s’approche d’une préposée.
-Bonjour!

  • Bonjour! Comment est-ce que je peux vous aider Monsieur X?
  • Ma gorge est sèche et je prendrais bien un verre d’eau.
  • Je vais vous chercher ça !

Je tente de le ramener attendre son verre vers sa chambre. Échec. Nous sommes encore dans le corridor. Elle apporte son verre et me le donne (il a les mains sur la marchette.)

-Tiens papa, ton verre.

Il ignore totalement toutes mes tentatives de lui partager que j’ai le verre dans mes mains.

Il retourne vers la préposée.

  • Ma gorge est sèche et je prendrais bien un verre d’eau.
  • Je l’ai donnée à votre fille.
  • ma fille? Je n’ai pas de famille moi, je suis tout seul ici et personne ne viens me voir.

(….)
Un petit intermède ici. À cause du covid, ils tiennent un registre des visiteurs pour chaque usager. Il y a donc un grand cartable avec une feuille par chambre sur laquelle les gens peuvent s’enregistrer. Mon père a tellement de visites qu’ils se sont tannées de rajouter constamment une nouvelle feuille (qui dois avoir 15 cases peut-être) qu’ils en ont mis 4 d’un coup. Il est privilégié niveau visites mais il ne le sait pas, il oublie toutes les visites systématiquement.

(….)

Appuyée par les propos de la préposée, je lui montre de nouveau le verre. Il le regarde finalement puis s’exclame:  » De l’eau ?!?! Je voulais du jus. »

La préposée reprends le verre, part dans la cuisine, transforme l’eau en jus et revient. Il boit 2 gorgées puis s’exclame de sa reconnaissance infinie devant ce liquide merveilleux. Il cherche comment tenir un verre et sa marchette en même temps.

« Donne-moi le papa »

« Ok mais échappe le pas. »

(….)

2 ans

Presqu’exactement 2 ans entre ces 2 photos…

Du papi qui tente de créer le contact avec son petit fils,
au petit fils qui tente de créer le contact avec son papi.

(…..)

Laurent, 1 an, fasciné par son papi, qui aura été pendant presque 2 ans et demi, son humain préféré, alors que celui-ci est particulièrement joueur pour un temps et, pandémie oblige, une des personnes qu’il aura vue le plus souvent pendant ces années.

Laurent, 3 ans, profondément attaché sans jugements, sans attentes, qui offre son plus gros sourire pour un contact visuel de quelques secondes.

(….)

On peut oublier, voir s’oublier, mais il reste l’amour.

Jouer à jouer aux cartes / Le jeu et l’alzheimer

Cette fois-ci j’ai dans ma poche un jeu de cartes lorsque je vais le voir.

C’est un passe-temps qu’il a longtemps eu donc je sent que ça risque de l’intéresser, de lui parler, de le faire tomber dans les réflexes qu’il a gardé au delà de la mémoire.

Je lui propose le jeu et d’abord il refuse parce qu’une autre idée attire son attention, il demande à marcher. Nous partons marcher et je dépose les cartes sur la petite table. Au bout d’un moment, nous revenons dans sa chambre et voyant les cartes il demande à jouer.

J’avais prévu peut-être un jeu de bataille, mais l’enchaînement des actions (devoir déposer la carte, déterminer laquelle a le plus de valeurs, déterminer si c’est la tienne ou celle de l’autre puis les ramasser ou pas dépendant du résultat.. ) était trop complexe ce soir-là.

Alors j’ai décidé de jouer à jouer aux cartes tout simplement. Vous savez, chacun dépose une carte de façon pas toujours ordonné, puis s’exclame avec des expressions propres à l’action de jouer aux cartes. Aucune attention à la valeur des cartes n’est nécessaire, sauf si ça adonne à un joueur.

Pour un point bonis, accorder votre réaction à celle de l’autre afin de rendre la conversation cohérente.

– oh, celle là est bonne!

– tiens toi, moi j’ai un homme de coeur!

– pfffft attends de voir la mienne.

Dès que nous avons épuisé le paquet de carte, il redemande à jouer. Trois ou quatres parties plus tard, il rayonnait, satisfait. Lorsqu’il parla à sa femme en vidéo, il commence la conservation par lui dire, fier, qu’il avait gagné. À quel jeu donc?

Ça n’avait aucune importance.

(….)

Quand il joue à jouer, ses gestes correspondent à ceux d’une personne qui joue aux cartes. Ses paroles aussi. Il retombe dans des enchaînements confortables, des suites de mots qui viennent facilement en groupe. Le même effet se produit quand on le met dans un contexte familier. Il ne sais pas qu’il sais, il ne pourrais pas l’expliquer mais son corps sait instinctivement. C’est un des aspects les plus intriguants des personnes alzheimer à ce stade. Et c’est un aspect qui demande un grand lâcher prise de la part de la personne qui vit encore dans un monde de règles et de structure.

J’habite une maison citrouille

Je suis arrivée à sa chambre et il pleurait.
« Que se passe-t-il papa? »❤ Il était bouleversé par la mort de sa mère, survenu il y a longtemps mais pour lui ça semblait maintenant.

(…)

Puis j’ai mis des chocolats dans ses poches. Je lui avais préparé une surprise. Le petit plaisir de donner des bonbons aux enfants pour Halloween. Je l’ai aidé à s’habiller pour dehors. À s’orienter pour sortir jusqu’à la cour. À se rappeler où était les bonbons. Main dans la main, nous sommes arrivées face aux enfants.

Son regard lorsqu’il a tendu un chocolat à chacun, c’était magnifique. Il était fier de lui pour un instant, retrouvait un geste déjà réalisé 1000 fois dans sa vie, confortable, normale. Il étais si heureux pour quelques secondes! J’ai mis de la musique d’Halloween. Les enfants ont dansés. Lui aussi. Il aimais beaucoup « J »habite une maison citrouille. »

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